Bonjour Jeanne (*), peux tu nous présenter ton parcours professionnel ?

Je suis gendarme depuis 8 ans.

Après l’école de gendarmerie, j’ai été affectée en brigade territoriale et depuis quelques mois, je suis en brigade de recherches. Contrairement à la majorité des gendarmes, je n’ai aucun lien avec l’institution.

Qu’est-ce qui t’a motivée à emprunter cette voie? Quelles étaient tes ambitions ?

Personne dans ma famille n’est gendarme ou militaire, mon choix a donc été source de surprise et d’inquiétude pour ma famille. J’ai choisi d’intégrer la gendarmerie pour servir ma Patrie et mes concitoyens.

Qu’aimes-tu dans ce métier, qui te rend heureuse de l’avoir choisi?

Je ne fais pas ce travail par goût de l’adrénaline ou de la résolution d’énigmes mais vraiment pour accompagner les victimes, les soutenir dans ce qu’elles vivent. Et je dois dire que jusque-là cela me suffisait, malgré ma désillusion très rapide concernant la justice et le sentiment très fort que mon travail ne change pas grand-chose. Il faut dire que j’ai servi pendant 2 ans auprès des personnes victimes de violences intrafamiliales, et malgré une fatigue physique et psychologique intense, j’y trouvais un vrai sens. Je suis formée pour entendre les enfants victimes de toute infraction sexuelle. C’est très éprouvant mais quelle joie de voir un enfant s’ouvrir à soi après un temps de jeu et le voir repartir plus serein. Il m’a donc été plus facile de fermer les yeux sur les manquements de notre justice, surtout que le sujet des violences intra-familiales est très évoqué aujourd’hui. Les réponses pénales étaient fortes et correspondaient à ma notion de justice.

Quelles sont les difficultés que tu rencontres, ou as pu rencontrer, dans ton quotidien? As tu connu des désillusions?

En revenant vers d’autres infractions (je travaille surtout dans les stupéfiants aujourd’hui) j’ai revu les dérives de notre justice :

  • Si vous êtes arrêté pour une infraction de la route vous allez être condamné plus sévèrement qu’un trafiquant de drogue.
  • Pour être condamné pour vol il faut être passé au moins 3 fois par la justice pour du vol ! La première fois on vous rappelle que vous n’avez pas à voler. Ah bon je ne savais pas pardonnez-moi monsieur le procureur !
  • Réduction massive des peines. Un exemple un trafiquant en récidive a pris 30 mois de prison dont 12 en sursis (il aurait pu prendre jusqu’à 20 ans ferme). Ce qui veut dire qu’il va être normalement 18 mois en prison mais avec les remises de peines (merci Mme Taubira) il ressort dans 13 mois. Quand il entre en prison on lui dit qu’il a été condamné à 18 mois mais qu’il va en faire beaucoup moins, quelle logique ? Quelle leçon ? Je suis pour les remises de peine si le condamné montre des signes de réintégration à la société, recherche d’emploi, formation, …
  • En prison, les auteurs sont libres et peuvent s’enfermer dans leur cellule pour ne pas être dérangés par les matons. Les surveillants n’ont pas le droit de les fouiller donc la drogue et autres circulent allègrement. Les mis en cause récupèrent des téléphones et gèrent leur trafic depuis leur cellule. Ils rencontrent d’autres auteurs et échangent leurs combines. Ils ont tout ce qu’ils veulent, télé, salle de sport dernier cri, … Un mineur que j’allais voir me disait être mieux là, au moins il pouvait regarder la télé toute la nuit et il avait sa drogue sans difficulté, alors que chez lui ses grands-parents veillaient à l’éduquer. Et tout ça sans travailler ou se former pour mériter avoir ces avantages. Nous pour avoir la télé nous travaillons pour pouvoir l’acheter, eux non elle est fournie. On achète la paix sociale au lieu de les aider réellement à s’en sortir en leur apprenant la valeur du travail. Comment voulez-vous qu’en sortant de prison ils recherchent un travail ? Pour quoi faire ? Ils auront le RSA en sortant et leur trafic pour le complément. Mais pour pouvoir acheter leur drogue, toujours plus chère, ils vont vous cambrioler pour avoir assez d’argent. Mais ça, l’État s’en moque, Macron a des CRS qui gardent sa maison. Il achète la paix sociale sans chercher à aider le peuple.
  • Peu ou pas de suivi en sortie de prison (les spip sont trop peu nombreux). Aucune exigence de travail, de recherche d’un autre logement pour le sortir de son secteur qui l’entraîne vers le bas, aucun groupe de soutien ou d’aide à réintégrer la société.
  • En somme quand les gendarmes arrêtent quelqu’un et qu’il est condamné (car souvent il repart devant nos yeux avec un rappel ou une convocation dans un an…), on parque le mis en cause pour éviter qu’il ne fasse de mal à la société le temps de son incarcération et quand il ressort c’est reparti. C’est un jeu pour eux. Et nous, nous courrons toujours après les mêmes. Mais ce qui est inquiétant c’est que la délinquance augmente, et le nombre de personnes qui vivent des aides sans chercher à s’en sortir aussi. Alors que faire ?

Que penses-tu qui pourrait être fait pour y remédier ?

Je n’ai pas trouvé la solution. Je pense qu’une décentralisation de la justice avec plus de magistrats et de tribunaux pour permettre une réponse rapide serait déjà une bonne chose. Un jeune convoqué un an après pour un vol ce n’est pas normal, d’ici là soit il aura oublié, soit il en aura refait des dizaines et se moquera de cette justice. Une justice plus ferme serait aussi une bonne chose, avec un réel accompagnement pour faire comprendre à la personne qu’elle a de la valeur et qu’elle peut servir la société et en ressortir grandie et plus heureuse. Vous devez me prendre pour une utopiste mais je crois à la beauté de chaque personne et c’est grâce à mes parents si j’en suis là.
Comment aurais-je tourné si j’avais été à leur place ? La justice plus ferme pourrait se traduire par un remboursement réel des victimes en prenant sur les aides données s’il le faut. A la place de l’argent ils pourraient recevoir des tickets pour se nourrir jusqu’à ce qu’ils aient payé leur dette. Après tout ils s’en sont pris à la société. Quand un enfant fait une bêtise on ne le récompense pas en lui laissant tous ses avantages, on lui confisque quelque-chose. Nous sommes tous des enfants qui devons continuer de grandir dans une société qui se soucie réellement de nous. Mais aurons-nous le courage de faire quelque-chose ? Plus les années passent et moins j’en ai la conviction.

Quel est ton ressenti actuel concernant ton métier ?

Après seulement 8 ans de service, je suis dégoûtée de tout cela et pense à quitter l’institution et à revoir mon mode de vie pour une vie plus simple au contact du réel et du local. Peut-être qu’en proposant une autre forme de société au niveau local, cela pourra en inspirer d’autres ? Je ne dis pas avoir la vérité et bien faire mais je ne peux changer les choses qu’à mon niveau et je suis prête à la faire. Et si un délinquant se présente à moi, je lui donnerais une chance de faire autre chose de sa vie et s’il n’en veut pas je prierais pour lui. Mon témoignage paraît pessimiste mais c’est la réalité du terrain qui n’est pas visible à la majorité des français.

Quel message souhaites-tu transmettre à ceux qui te lisent ?

Un monde plus juste passe par une plus grande solidarité et une plus grande fraternité. Si vous fermez les yeux sur ce qui arrive à votre voisin, ne venez pas vous plaindre que personne ne vous aide et que ce monde est de plus en plus individualiste. Aidons-nous, aimons-nous et nous ferons de grandes choses et nous serons plus heureux. Bonne continuation à chacun d’entre vous.

Un immense merci pour ce beau message, Jeanne (*). Puisse t-il être entendu.

(*) nom d’emprunt

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